Pourquoi tant de devis CVC explosent une fois le chantier lancé

Dans le génie climatique, on voit encore trop de devis CVC partir au hasard, surtout en fin d'année quand les plannings explosent et que tout le monde veut boucler ses budgets. Cet article démonte les mécanismes qui font dérailler un chiffrage et propose une méthode plus operationnelle et fiable pour sécuriser vos budgets travaux et vos bordereaux de prix.

Le mensonge confortable du devis rapide

On connaît bien la scène. Appel du client un jeudi 16h, urgence absolue, dossier VRV ou CTA à chiffrer pour lundi, plans incomplets, CCTP bancal. Et malgré tout, le devis part. Trop vite. Trop approximatif. Vous l'avez déjà vécu si vous touchez un peu au CVC.

Le problème n'est pas seulement le manque de temps. C'est la croyance dangereuse que l'on peut compenser plus tard avec un avenant, un rabotage de la marge, ou une pression sur les sous‑traitants. En réalité, chaque imprécision initiale vient miner votre position de chargé d'affaires dès la première réunion de lancement.

Ce qui explose ensuite - heures de main‑d'oeuvre, accessoires oubliés, régulation sous‑estimée, équilibrages non prévus - était souvent parfaitement prévisible au moment du chiffrage. Simplement, personne n'a pris le temps de structurer une méthode.

Les trois failles récurrentes des chiffrages CVC

1. Le dimensionnement approximatif, mère de tous les dérapages

Le dimensionnement, qu'il s'agisse de détente directe, de VRV DAIKIN, de CTA ou d'installation eau glacée, n'est pas une formalité. C'est le socle. Chaque fois qu'on "prend large" sur une puissance ou qu'on reproduit un schéma type sans retravailler les hypothèses, on fabrique de futurs problèmes.

En pratique, les dérives viennent souvent de trois négligences :

  • des charges thermiques évaluées à la louche, sur la base d'un projet similaire vaguement comparable ;
  • une non‑prise en compte des conditions réelles d'exploitation (plages horaires, apports internes, taux de renouvellement d'air) ;
  • une sous‑valorisation des pertes de charge réseau, surtout en rénovation avec reprises partielles.

Or, redimensionner en cours de chantier coûte infiniment plus cher que de faire le travail correctement au départ. C'est précisément pour cela qu'une formation structurée au dimensionnement fait gagner de l'argent, pas seulement du confort intellectuel. Vous pouvez voir comment nous abordons ce sujet, par type de système, dans nos différents modules de formation en ligne CVC.

2. Les accessoires, ces bombes à retardement

Les écarts les plus violents entre devis et réalité se nichent rarement dans l'unité extérieure elle‑même. Ils se cachent dans ce qu'on appelle pudiquement les "accessoires" :

  • cuivre, isolation, câbles de puissance et de communication ;
  • grilles de ventilation, registres, bouches, atténuateurs ;
  • organes hydrauliques sur eau glacée, vannes 2 voies / 3 voies, kits de régulation, disconnecteurs, filtres, etc.

Fin 2024, plusieurs études de la filière, relayées notamment par l'AFNOR et le CSEEE, ont rappelé que la part des fournitures annexes dans un projet CVC peut représenter 25 à 40 % du coût matériel réel sur chantier. Pourtant, dans une quantité impressionnante de devis, on voit encore un "forfait accessoires" posé au pif, en queue de bordereau.

C'est une absurdité économique. Le jour où le chantier commence, ce forfait devient une balle perdue qui finit forcément dans la marge ou dans des discussions stériles avec le client.

3. La régulation, angle mort systémique

Dernier angle mort : la régulation. On continue de voir des devis avec une ligne maigre "régulation" fourre‑tout, sans aucun détail :

  • pas de scénario de fonctionnement clair ;
  • peu ou pas de description des interfaces GTB ;
  • aucune ventilation des coûts entre matériel (automates, sondes, passerelles type Distech ou Siemens) et prestations de mise en service / programmation.

Résultat : explosion des coûts au moment de la mise en route, tensions entre l'installateur et l'intégrateur GTB, et souvent un client final qui, lui, s'attendait naïvement à une solution "clés en main". Pour un responsable projet, ne pas détailler la régulation, c'est accepter d'entrer sur le chantier avec un bandeau sur les yeux.

2024‑2025 : une conjoncture qui ne pardonne plus les approximations

Depuis la vague réglementaire autour du bâtiment tertiaire (décret tertiaire, RE2020 pour une partie du parc neuf), la pression sur la performance énergétique réelle des installations CVC s'est nettement durcie. Les maîtres d'ouvrage, publics comme privés, challengent beaucoup plus durement les devis.

La réalité, confirmée par des retours de plusieurs bureaux d'études et organismes comme l'ADEME, c'est qu'un projet mal chiffré se voit maintenant démasqué bien plus tôt, parfois dès l'analyse des offres. Vous n'avez plus la même marge de manoeuvre qu'il y a dix ans pour "re‑rééquilibrer" en cours de route.

Cela vaut en France, mais aussi sur des marchés plus agressifs comme les Emirats Arabes Unis, où les attentes en termes de délais et de rigueur technique sont particulièrement élevées. Quand votre client aligne plusieurs grands fabricants - Daikin, Mitsubishi Electric, Carrier, Swegon - vous n'avez tout simplement pas le droit d'arriver avec un chiffrage flou.

Vers une méthode de chiffrage CVC réellement opérationnelle

1. Partir d'une grille d'analyse projet, pas d'un prix public

La première rupture à opérer est mentale : on ne construit pas un devis CVC à partir d'un prix catalogue et d'une remise. On le construit à partir d'une analyse structurée du besoin. Onze questions suffisent pour assainir 80 % des situations :

  1. Quel est le régime de fonctionnement réel de l'installation, heures creuses comprises ?
  2. Quelles sont les contraintes acoustiques acceptables ?
  3. Quelles sont les marges d'évolution du bâtiment (densification des occupants, heures d'ouverture élargies) ?
  4. Y a‑t-il une GTB existante, et si oui, qui en a la maîtrise ?
  5. Les puissances indiquées au CCTP sont‑elles cohérentes avec l'enveloppe thermique du bâtiment ?
  6. Le client est‑il sensible au coût d'exploitation, ou uniquement à l'investissement initial ?
  7. Quel niveau de redondance est exigé sur les CTA, VRV ou groupes froids ?
  8. Quels sont les circuits de validation internes côté client (achat, technique, finance) ?
  9. Quel est le niveau de tolérance aux arrêts d'exploitation pendant travaux ?
  10. Existe‑t-il une politique groupes ou une liste de fabricants imposés (Daikin, Lennox, Atlantic, etc.) ?
  11. Qui assurera ensuite la maintenance et avec quel contrat ?

Ce type de grille fait gagner un temps fou, surtout lorsqu'on enchaîne les consultations. C'est exactement ce genre de réflexe qu'on cherche à ancrer dans une formation de gestion de projets CVC digne de ce nom.

2. Désosser systématiquement le bordereau de prix

Un bordereau propre ne se contente pas de quatre lignes par lot. Il doit, au contraire, rendre douloureusement visibles les postes à risque :

  • lignes séparées pour les accessoires majeurs (cuivre, isolation, supports, organes d'équilibrage) ;
  • distinction claire entre fourniture et pose ;
  • poste dédié à la régulation, avec détaillage des fonctions principales ;
  • lignes de mise en service, d'essais et de réglages séparées des simples fournitures.

Oui, cela prend plus de temps. Mais c'est aussi ce qui permet, une fois le chantier ouvert, d'argumenter techniquement face au client ou au bureau de contrôle. C'est aussi ce qui fait la différence, lors d'un bilan interne, entre un chargé d'affaires "qui subit" et un responsable projet qui peut démontrer rationnellement d'où viennent les écarts.

Si vous avez besoin de structurer cette approche, commencez par analyser vos anciens chantiers à la lumière de ces points. Quelles lignes manquaient au bordereau ? Sur quoi avez‑vous le plus souvent perdu de la marge ? Ce travail d'autopsie est brutal, mais terriblement formateur.

3. S'appuyer sur des scénarios types par technologie

Les projets se ressemblent rarement, mais les erreurs, elles, se répètent. Construire des scénarios types par technologie - monosplit et multisplit, VRV, CTA, ventilo‑convecteurs eau glacée - permet d'éviter de réinventer la roue à chaque fois.

Pour chaque famille, définissez :

  • une check‑list technique (dimensionnement, accessoires incontournables, contraintes usuelles) ;
  • un gabarit de bordereau de prix suffisamment détaillé ;
  • des ratios internes de contrôle (coût accessoires / coût matériel principal, temps de pose moyen par type d'unité, etc.).

C'est exactement la logique qui sous‑tend les modules de formation thématiques autour du VRV Daikin, des CTA ou des ventilo‑convecteurs. On ne se contente pas de présenter le matériel : on travaille la façon dont il se traduit en lignes chiffrées, en risques, en arbitrages techniques.

Un cas de terrain : le projet tertiaire qui bascule

Un exemple, très classique. Immeuble tertiaire en région parisienne, rénovation d'une installation air neuf + ventilo‑convecteurs. Dossier pressé, budget serré, client focalisé sur la date de livraison plutôt que sur le détail des prestations.

Le devis initial, assez proche de la moyenne du marché, passe. Sauf qu'il sous‑valorise quasiment tout ce qui concerne l'air hygiénique : caissons d'extraction, réseaux secondaires, équilibrages, reprise des grilles existantes. Rien de dramatique sur le papier. Jusqu'au jour où le coordinateur SPS impose des modifications de cheminement et où le bureau de contrôle exige des niveaux de filtration supérieurs.

Au final, le chantier se termine, mais avec un double goût amer : marge quasiment annulée pour l'installateur et client qui a l'impression d'avoir payé plus que prévu, sans comprendre pourquoi. Ce qui aurait pu être évité ? Une meilleure analyse du besoin en amont, une description plus claire des variantes possibles, et un bordereau qui isole les postes à risque.

Former les chargés d'affaires comme des stratèges, pas comme des sapeurs‑pompiers

Former un chargé d'affaires CVC, ce n'est pas uniquement lui expliquer comment dimensionner un VRV ou une CTA. C'est surtout lui apprendre à penser son devis comme un outil de pilotage de projet, pas comme un bout de papier pour décrocher une signature.

Cette approche demande une vraie exigence, une pédagogie orientée terrain, et des cas concrets issus de chantiers réels. C'est précisément ce que nous défendons dans notre philosophie de formation : donner aux futurs responsables projets un cadre technique et économique suffisamment solide pour résister à la pression de fin d'année, aux urgences commerciales, aux marchés agressifs.

Si vous sentez que vos devis sont encore trop tributaires de l'instinct ou de l'habitude, le moment est peut‑être venu de structurer votre méthode. Vous pouvez commencer par explorer nos ressources et articles, ou tout simplement prendre contact pour balayer ensemble votre contexte (France ou Emirats Arabes Unis) et vos besoins de montée en compétence. Le chantier commence bien avant la première heure de pose ; il commence, très concrètement, à la première ligne de votre bordereau.

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